Japon : pas encore d’alerte sur la dette




Dette et déficit du gouvernement japonais
Dette et déficit du gouvernement japonais

Avis négatif de S&P sur la dette mais pas d’impact sur le marché

Le passage à une surveillance négative (premier pas avant une dégradation) le 26 janvier dernier sur la notation de la dette japonaise (notation : AA ; France : AAA+) de la part de l’agence de notation S&P n’a pas fait trop de bruit sur les marchés. Le taux 10 ans japonais est resté stable autour de 1.35 % soit le niveau le plus bas des pays développés. Une situation finalement assez paradoxale quand on pense aux problèmes rencontrés aujourd’hui par les « PIGS » (Portugal, Irlande, Grèce et Espagne).

Un déficit conséquent et une dette record

La position des finances publiques japonaise s’est fortement fragilisée depuis 2008. D’un côté, l’effondrement des recettes (-21 % en 2009) et de l’autre les mesures de relance (+20 % sur les dépenses) ont poussé le déficit public hors service de la dette et transferts aux collectivités à 34,2 trillion de ¥ (190 milliard €), soit plus de 8 % du PIB. Un niveau important, sans être choquant au regard de celui des US (12,6 % du PIB) ou de la France (8,2 %). En revanche, le montant de la dette publique est plus impressionnant. L’encours (totalité secteur public) approche 830 trillions de ¥ fin 2009, soit un montant proche de 175 % du PIB, record absolu pour un pays développé.



Situation budgétaire 2009 et 2010 (source : Ministère finance)
Situation budgétaire 2009 et 2010 (source : Ministère finance)

Les problèmes sont nombreux sur les finances publiques




Au montant de la dette brute, il faut rajouter le fait que la situation budgétaire est assez inquiétante. En effet, pour la première fois, les dépenses de l’année fiscale 2009 (avril 2009-mars 2010) seront financées à plus de 50 % par l’emprunt. Dans le projet de budget 2010, cette part des dépenses financée par la dette est de 48 %, soit à peine mieux. De plus, la charge de la dette représentera en 2009 environ 51 % des recettes fiscales de l’État japonais. Idem pour le projet de budget 2010, où le remboursement du capital et des intérêts va absorber 21 trillions ¥ pour une prévision de recettes fiscales autour de 37 trillions ¥.

En résumer, le budget de l’État japonais est profondément déséquilibré, avec un financement reposant lourdement sur de nouvelles émissions de dette et une charge de la dette consommant plus de la moitié des recettes fiscales.

Ceci pose donc un problème à court et moyen terme et un problème à plus long terme. Premièrement, l’État japonais doit recourir à la dette pour financer son action et donc trouver sur le marché les sommes nécessaires. Se pose donc un risque de liquidité qui peut justifier les craintes de défaut. Deuxièmement, la situation actuelle des finances publiques japonaises n’apparaît pas soutenable. Les projections montrent que le ratio de dette sur PIB pourrait dépasser 200 % d’ici à fin 2012.

Pourtant, rien ne bouge

Malgré cela, le marché n’a pas attaqué la dette japonaise comme il le fait pour la Grèce. Ainsi, le CDS* du Japon est passé d’un niveau de 70 points à 85 points de fin décembre à début février. A titre de comparaison, début février, le CDS de l’Allemagne est à 45 points et celui de la Grèce à… 410 points ! Par conséquent, le marché est certes plus inquiet que pour d’autres grands pays développés, mais sans manifester une réelle défiance.



Japon : pas encore d’alerte sur la dette

Cette situation à plusieurs explications. D’une part, le marché pour la dette d’État est focalisé sur des acteurs locaux. Les étrangers ne détiennent que 6 % de la dette publique. Dans ces conditions, difficile d’attaquer la dette japonaise de l’extérieur. Or, du côté domestique ce sont principalement des établissements publics qui sont de gros détenteurs de dette (fonds publics de retraite, Poste) avec 44 % du total fin 2009. La Banque centrale est aussi un gros acteur du marché, avec 7,5 % de l’encours de dette de même que les banques (8 %) et les assurances vie (7 %). Or, aucune de ces institutions (surtout les publiques) n’a d’intérêt ou d’incitation à parier sur un problème de défaut, car elles seraient alors très exposées.





D’autre part, le risque de liquidité reste limité à court terme. Le Japon à une balance courante excédentaire, les capitaux rentrent donc dans le pays. Une partie est ensuite orientée par les établissements financiers sur la dette publique, le rendement réel étant correct (cf. graphique). De plus, l’État japonais dispose d’actifs (y compris des actions, des participations…) pour près de 80 % du PIB fin 2009. Le Japon peut donc couvrir son déficit en vendant ces derniers. Enfin, dans le cadre de sa lutte contre la déflation, la Banque centrale fait tourner la planche à billets. Ses achats de dette publique devraient représenter environ 13 % des émissions en 2010. Rien ne l’empêchera (et surtout pas un risque inflationniste) d’en faire un peu plus si nécessaire.




Au final, à court terme, le risque de défaut est négligeable. Dans ce contexte, la réaction des marchés est cohérente. Il n’en reste pas moins que les perspectives de long terme sont très négatives. Ainsi, si la probabilité d’une crise à la grecque est exclue, celui d’une hausse graduelle des taux d’intérêt l’est moins.



* instrument financier qui sert à mesurer comment le marché « perçoit » le risque de défaut à court terme. Plus le CDS est élevé, plus le risque est jugé élevé.




Guillaume Guidoni

Lundi 8 Février 2010



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